Lorsque l'on parle d'hydrogène, les acteurs publics ont un rôle central à jouer pour impulser et soutenir le processus. Nous en parlons aujourd'hui avec Amaury Vaussanvin, cofondateur de Synops Conseil, qui aide les collectivités à entamer leur transition énergétique.
Lhyfe Heroes : " Vous conseillez les collectivités sur la décarbonisation de la mobilité. Peut-on dire que l'hydrogène est automatique ? Est-ce encore la bonne solution ? "
Amaury : « Non, ce n'est pas si simple. Il y a actuellement trois alternatives valables avec des avantages et des inconvénients :
1. Le bio-méthane :
-Avantages : il a un bon bilan carbone global.
-Inconvénients : il reste un combustible fossile, qui émet des gaz à effet de serre. On considère que ces gaz ont été évités en amont et donc que l'empreinte globale est plus faible. Mais il faut savoir qu'un véhicule fonctionnant au biométhane rejette toujours localement les mêmes particules et émissions qu'un véhicule thermique. De plus, il ne sera pas possible de produire massivement du biométhane car il faudrait transformer des terres agricoles pour produire ce carburant. Et même si c'était le cas, la France ne dispose pas d'assez de terres pour absorber toute la production nécessaire.
2.électrique :
-Avantages : il n'y a pas d'émissions polluantes lorsque le véhicule est en mouvement, ce qui correspond bien à la demande des zones urbaines.
-Inconvénients : actuellement l'électrique ne répond pas à un usage intensif ou lourd, c'est plutôt une excellente alternative pour un usage léger, pour les citadins. De plus, il y a un problème d'infrastructure avec l'électricité : elle n'est pas suffisante pour tous ces petits usages. Il faut multiplier les bornes de recharge et on n'est pas capable de le faire partout. Enfin, il ne faut pas négliger la complexité du recyclage des batteries qui utilisent des terres rares.
3. l'hydrogène renouvelable :
-Avantages : l'hydrogène, par son intensité énergétique, prend le relais de l'électricité pour les usages lourds et intensifs, comme les camions de 44 tonnes, les transports en commun ou qui nécessitent de la puissance, comme les tracteurs par exemple. Ce qui est également intéressant par rapport à l'électrique, c'est le temps de charge très court et l'autonomie qui, au-delà du confort du conducteur, ont un impact intéressant sur la conception de l'infrastructure d'une ville. Du point de vue de l'infrastructure, ce qui est intéressant, c'est que l'hydrogène permet de construire des écosystèmes locaux : on produit et on consomme sur le même territoire, ce qui est un changement majeur dans notre paradigme énergétique.
-Inconvénients : pour faire de l'hydrogène, il faut de l'électricité et donc le rendement global est un peu moins bon que celui de l'électricité. Et, à ce jour, les technologies en sont encore à leurs balbutiements donc il y a une complexité dans l'exploitation de ces véhicules ou stations, mais c'est normal, c'était aussi le cas avec les véhicules électriques.
L.H. : " Vous parlez des écosystèmes hydrogène : pouvez-vous nous décrire leur fonctionnement ? "
R : Un écosystème est, sur un territoire donné, l'addition de :
- D'une usine de production d'hydrogène renouvelable
- Une station de distribution semi-centralisée
- Des utilisateurs finaux d'hydrogène
Au-delà de la conception locale du système, il y a un changement très intéressant dans le paradigme énergétique : nous produisons ce dont nous avons besoin. On raisonne en rationalisant l'énergie et on renonce à s'interroger sur nos usages ; c'est en totale opposition avec le système d'abondance actuel et cela pose la question de la sobriété.
L.H. : " Comment gérer la sobriété dans les transports ? "
R : Nous n'en avons pas parlé dans les solutions précédentes, mais la sobriété reste le meilleur moyen de réduire le CO2 émis. Et nous y serons contraints car nous ne pourrons pas remplacer tous les véhicules thermiques par des véhicules propres. Pour encourager la sobriété, les villes peuvent prendre des mesures concrètes :
- Redonner une place importante à la mobilité active avec plus de pistes cyclables, plus de zones piétonnes. Aujourd'hui, nos villes ont été conçues pour la voiture. Les zones résidentielles sont éloignées des zones d'activités commerciales et tertiaires, ce qui ne favorise pas toujours cette mobilité.
- Il faut proposer des réseaux de transports publics responsables et denses. Il existe aujourd'hui deux stratégies intéressantes :
o les réseaux gratuits pour encourager l'utilisation des transports publics
o Les réseaux qui continuent à payer pour financer la transition de leurs véhicules.
- Mettre en place des contraintes réglementaires, telles que les zones à faibles émissions. Si elles partent d'une bonne attention, ces contraintes peuvent exclure certains de la transition énergétique.Aujourd'hui, malheureusement, tout le monde n'a pas les moyens de faire cette transition et il faut accompagner au maximum plutôt que d'imposer la transition en la laissant de côté.
L.H. : " Avez-vous des idées pour rendre abordable la transition vers une mobilité décarbonée ? "
R : Aider à l'achat de véhicules, consolider les usages et la distribution sur un territoire donné et surtout faire en sorte que les collectivités locales pilotent la démarche. En commandant quelques bus, quelques bennes à ordures ménagères à hydrogène, elles peuvent lancer un écosystème qui profitera ensuite aux petits acteurs économiques locaux et même à M.Tout-le-monde.
L.H. : " Et puis, qu'est-ce qui empêche les collectivités de le faire ? "
A : Il y a des freins financiers, ça demande des investissements importants qui ne sont pas faciles par les temps qui courent... et puis ça demande des compétences techniques et technologiques qui ne sont pas encore très répandues dans les institutions.
L.H. : " Dans un monde parfait, comment faire avancer la transition énergétique plus rapidement ? "
A : Je trouve intéressant de faire le lien entre le public et le privé. Du côté public, il y a ce temps long, ces décisions stratégiques... et du côté privé, il y a une capacité d'investissement et d'innovation technologique qui va permettre d'y arriver, j'en suis sûr !
L.H. : " Enfin, quelle innovation dans le domaine de l'hydrogène vous plaît et vous donne de l'espoir ? "
A : « Le retrofit ! Je le trouve génial et il permet de passer de véhicules thermiques à l'hydrogène pour des usages très différents, pas forcément urbains comme les tracteurs agricoles par exemple.
photo : guilherme-stecanella